Le Pays de la Terre n'était pas des plus riches, surtout depuis la guerre civile ; mais que voulez-vous, il faut bien dormir sous un toit, n'est-il pas ? Sōun appréciait dormir et se nourrir dans des établissements de luxe, et il n'était pas si mal de changer du train-train de temps à autres. Lui qui s'était habitué, depuis son retour à Iwa, à un petit établissement au sein du village, il était pris d'envie cette fois-ci d'aller voir la capitale civile. Après tout, les heures passées au calme entre deux missions allaient pouvoir se compter sur les doigts de la main ; autant en profiter ! Tête couverte d’un chapeau traditionnel, Sōun entrait dans la capitale du Pays assis sur la charrette d'un marchand vagabond. A peine celui-ci fut-il arrivé dans l'avenue principale que son plus gros poids lui fut délesté. Pinçant une ou deux des cordes de son Luth de temps à autres, il laissait émaner autour de lui une étrange impression de malaise. Après tout, ne vous a-t-on jamais dit de ne jamais faire confiance à un barde ? Surtout si ce dernier prenait un soin tout particulier à masquer son visage de votre regard ? Ou bien était-ce simplement le son horrible et incroyablement mal accordé de l’instrument que le ninja avait acheté sur la route ? Comme il en avait l'habitude désormais, Sōun entendit alors une terrible voix venue d'outre-tombe résonner dans sa tête. Cette voix il ne la connaissait que trop bien, mais jamais qui que ce soit l'eut cru à ce sujet.


La main gauche de l'homme fut d'un coup prise de spasmes, se tournant doucement vers lui, on aurait pu penser au premier abord qu'il observait le phénomène s'en prenant à son propre corps, mais il n'en était rien. Doucement, la main s'approchait de la tête de Sōun, plus précisément de sa gorge, comme prenant la forme de cette dernière. Et ce qui pouvait être pris pour des spasmes par un œil externe était en fait une lutte intérieure acharnée. Une lutte contre soi-même, contre son destin, contre son héritage ; contre la haine qui guide chacun de ses pas malgré lui. Ce n'est qu'à quelques millimètres à peine de sa gorge que sa main s'arrêta de trembler, signe qu'il semblait reprendre ses esprits. Alors qu'une goutte de sueur perlait le long de sa joue, coulant de son front, un petit rictus de satisfaction se dessinait sur le visage du Hōjō ; à moins que ça ne soit du soulagement. Cette voix qu’il entendait parfois, qu’il imaginait, qui semblait même le posséder, était une manifestation de son remord vis-à-vis des fameux évènements l’ayant frappé avant sa disparition, il y a trois ans. Une chose attira cependant l'attention de Sōun immédiatement. Un jeune garçon, probablement pas plus vieux que 6 ans, se tenait là, quasiment éteint de toute vie, adossé à un mur, aux tréfonds d'une ruelle. Semblant intrigué, le singe ne tarda pas à s'y diriger. Ce fut un regard quasiment vide qui se posa sur lui, il mourrait de faim, incapable de se nourrir par lui-même. Cette époque était un monde réservé aux forts. Il fallait soit être fort pour imposer sa loi, soit être suffisamment fort pour supporter la loi d'un être plus fort que soi ; telle était la dure réalité. Ce gamin ne semblait pas assez fort pour survivre en ce bas monde, pas par lui-même en tout cas. Mais le destin a parfois de la bonté. Sortant une pomme de sa veste, fraîchement cueillie sur la charrette du marchand qu'il empruntait pour arriver plus tôt, Sōun la déposa dans les mains du gamin. Les yeux du gosse s'écarquillèrent quasiment aussitôt de surprise. Son visage ne manqua pas de s'illuminer de mille feux en une seconde à peine, peinant cependant à se relever, il s'inclina en avant en guise de remerciement à son sauveur et s'apprêta à croquer à pleines dents dans ce qui serait sans doute son seul repas de la journée.


Les dents du gamin s'approchaient alors de la pomme, mais au lieu de sa salive, ce ne furent que quelques gouttes de sang qui vinrent ravirent la peau du fruit.


Ses pieds ne touchaient plus le sol, et c'était tout son corps qui était placardé au mur à côté de lui. Cependant, Sōun n'avait pas esquissé de mouvement brusque ; et pourtant. Un geste de son bras, tel un fouet claquant dans les airs, Kunai en main, le propulsant avec une force inhumaine en direction de l'encéphale du jeune garçon au corps n'ayant probablement pas terminé sa formation. Le crâne de ce dernier n'offrit qu'une maigre résistance au puissant coup du Hōjō. Le long de la tempe du gamin, son sang coulait à flot, un trou dans le crâne : le Kunai l'avait complètement traversé pour s'encastrer dans le mur derrière lui. Manque de chance, le mur était tout juste à côté, tant et si bien que l'arme de jet n'eut même pas le temps de ressortir de la boite crânienne de l'enfant, qu'elle s'était d’ores et déjà figée dans la brique. Au final, Sōun avait récupéré une pomme salie par le sang, mais se trouvait face à un terrible dilemme. Aller récupérer son Kunai allait être désormais remarquablement délicat. A moins que...

Retroussant la manche de son bras droit, il plongea sa main sans le trou béant du crâne encore chaud du gamin, et, attrapant à pleine main son arme, qui trônait sur la matière grise de l'enfant, arracha d'un coup sec son Kunai du crâne du gosse, laissant le corps inanimé retomber enfin contre le sol, s'échouant sur ce dernier comme un coquillage serait déposé par l'écume sur le sable d'une plage. D'un coup sec vers l'extérieur, il envoya toute trace de sang, de cerveau et d'autres conneries valser au loin, et glissa son kunai entre les plis du vêtement du cadavre, ne manquant pas de le remettre aussitôt dans sa poche dédiée à cet effet. Reprenant sa route, sortant de la petite ruelle, sourire aux lèvres, Sōun croquait dans sa pomme à pleine dents, sifflotant un air musical des plus morbides. Cette petite scène lugubre ne s’était, heureusement, déroulée que dans la tête du ninja de la terre. C’était ce qui avait tendance à se produire lorsque ses pensées vagabondaient vers la fameuse mission qui avait pris la vie de son frère et de la compagne de ce dernier. Il était grand temps de boire ! Il fallait qu’il chasse au plus vite ces biens funestes pensés de sa tête… Il entra alors dans le premier bar/taverne qu’il croisa et s’installa bien rapidement à une table, demandant à ce qu’on lui apporte un grand verre de l’alcool le plus fort en stock.

Réaction habituelle à l'arrivée de Sōun quelque part : tout le monde prend sa pose pour lorgner sur le singe, sans vraiment comprendre le pourquoi du comment. Il était largement habitué à ces situations depuis sa naissance. Toujours la même réaction, toujours le même intérêt curieux de la part des gens avant les moqueries. Ils étaient tous les mêmes. Depuis qu'il avait perdu son frère, il était seul, il n'y avait plus aucun humain en ce bas monde pour l'accepter sans arrières pensées, sans regard de travers.

Mais bon, il n'était pas là pour ça, il ne l'a jamais été. Attrapant sa commande, le Hōjō but l'intégralité de son verre d'alcool fort d'une traite. Il se sentait mieux, enfin. Les pensées de sa sombre mission avaient immédiatement été chassées de son esprit et ses tremblements passagers avec. Non seulement l'alcool avait comme bienfaits de balayer d'un coup de main les problèmes de Sōun, mais il bazardait également tout inhibiteur par la même occasion.

Attendant son second verre, il se tourna pour donner un coup d’œil à travers la salle. Ayant été viré de chez lui à Iwa, il n'avait, à vrai dire, nul part où dormir au sein du village caché. Depuis son retour, il était donc forcé de venir régulièrement ici pour passer ses nuits. A force, il commençait à connaître les têtes des habitués des lieux. Et a vrai dire, l'une d'entre elle n'en faisait pas partie. Non pas qu'elle était la seule dans ce cas, mais de loin la seule à autant sortir du lot. Il ne fallait pas se mentir, Sōun n'ayant que 16 ans, une superbe femme comme ça, ça sautait immédiatement aux yeux, d'autant qu'elle lui rappelait bizarrement une autre femme qu'il avait croisé, bien loin d'ici, il y a quelques temps...

Si en temps normal cette situation en serait restée là, grâce à l'alcool, ça ne serait pas le cas. Bien qu'il soit encore loin d'être saoul, le ninja d'Iwa n'avait dors et déjà plus aucun scrupule à aller discuter avec des inconnues. Il se leva alors du comptoir, n'oubliant pas de saisir son second verre au passage, pour s'approcher de la jeune femme. S'arrêtant au niveau de la table, il la regardait dans les yeux, posant sa main sur la chaise face à elle.


Faisant une pause un instant, comme pour attendre la réponse, il enchaine aussitôt, sans vraiment te laisser le temps d'ouvrir la bouche.

Il s'était empressé de donner son nom, comme pour briser la glace. Il était simple de lire l'embarras sur son visage malgré l'alcool. En parlant de boisson, il était tout aussi facile de sentir le composant majoritaire de son dernier verre. Son haleine n’empestait pas pour autant, mais le noter était assez aidé. Il semblait sincère en proposant sa présence et pas la moindre once de malice était visible chez lui.

Le moins que l’on puisse dire, c’était qu’il ne s’agissait pas d’un fait commun que Sōun aborde des gens de lui-même. Pire encore, que la personne en question ne soit pas répugnée par la proximité avec le singe. PIRE ENCORE, que ladite personne REPONDE ! Pour tout dire, il était facile d’imaginer le ninja d’Iwa complètement estomaqué par ce qui se passait sous ses yeux. Mais là encore, l’alcool jouait son rôle à merveille et il était très peu probable que la jeune femme se rende compte de la portée de ses actes sur le visage de son vis-à-vis.

Téméraire n’était pas vraiment le mot adapté dans cette situation. Sōun n’était clairement pas un téméraire. Un des problèmes que l’on peut rencontrer lorsque toute présence humaine nous fuit depuis que l’on est enfant à cause de notre apparence, c’est bien sûr une forme de manque de savoir-faire en société. Les rares interactions sociales du singe étaient avec ses quelques équipiers potentiels en mission. Il était particulièrement rare que quelqu’un d’autre s’adresse à lui, à part pour se moquer de son visage, bien entendu. Il serra doucement la main qui lui était tendue. Pas trop fermement comme pour éviter de la blesser, mais pas trop faiblement non plus. Il avait de la poigne, mais elle était parfaitement contrôlée.

Là, c’était le moment où il était supposé répondre à la femme à qui il venait d’adresser la parole. Subtilité : jamais jusqu’à présent quelqu’un ne lui avait répondu de la sorte, il ne savait donc pas vraiment quoi dire à partir de là. Balbutiant quelques peu en détournant le regard, il se grattait l’arrière du crâne avant de prononcer quelques mots à sa charmante compagnie.



Maladroit ; extrêmement maladroit. Un telle phrase pouvait aussi bien vexer qu’elle pouvait plaire. Parfois, le pire démon de l’homme est la femme. En pleine adolescence, Sōun était déjà attiré par la gente féminine, mais son manque cruel d’expérience en la matière lui jouait quelques vilains tours. Plaire à autrui était une des raisons qui le poussait à essayer de développer une technique lui permettant de changer de manière permanence son visage.

Buvant à nouveau de son alcool, c’est désormais sa boisson qui allait faire la conversation à sa place dorénavant.



Il baisse la tête vers la table, il a une mine triste l’espace d’un instant, le ton de sa voix change et elle devient presque chancelante.



Il relève les yeux et plonge son regard dans le sien. Son visage semble alors s’illuminer, faisant disparaître complètement voire même oublier ce que la jeune femme a pu voir l’instant passé.