Un vent agréable balayait la plaine verte et paisible. Un petit ruisseau coulait entre les herbes hautes, produisant un bruit à peine audible. Je m’accroupis, rempli ma gourde en peau d'eau fraiche et me désaltérai. Je sentais le liquide couler dans ma gorge, apaisant ma soif. Depuis l'aube, je n'avais cessé de marcher, cherchant de possibles proies qui seraient en mesure de me rassasier. Je n'avais avalé depuis trois jours que des amuse-gueules comme des petits oiseaux ou rongeurs imprudents. À présent, j'avais faim. Très faim. Mon ventre me le faisait comprendre en se tordant et en produisant des bruits désagréables. Pour calmer mon estomac, j'avais donc décidé de partir à la chasse. Mais pas n'importe quelle chasse puisqu'il s’agissait d'une chasse à l'Homme.

Comme tout bon chasseur, j'avais cherché des traces laissées dans la terre meuble, des odeurs, des morceaux de tissu accrochés à une branche... Mais rien, aucune piste ne s'offrait à moi. Je n'allais pas pour autant abandonner, je continuerai ma traque jusqu'à ce que je sois repue. Me relevant, je vis non loin de mon emplacement le commencement d'un bois qui, avec un peu de chance, pouvait éventuellement abriter mon déjeuner. J'accrochai ma gourde à ma ceinture et commençai mon trajet vers la forêt d'un pas rapide et régulier, tentant de capter une odeur, aussi mince soit-elle. Arrivé devant les arbres majestueux, je me fis discrète. Ce qui est pratique quand on chasse l'humain, c'est que l'odeur n'est pas un problème. L'odorat de ses créatures était extrêmement faible, ne leur servant quasiment à rien.

À peine avais-je atteint la première clairière que l'odeur douce et incroyablement délicieuse d'un groupe d'être humain me chatouilla les narines. Mes efforts allaient enfin être récompensés et j'imaginais déjà le festin sanglant qu'allaient m'offrir ces hommes.
M'avançant le plus silencieusement possible vers l'odeur de mon repas, je me demandais comment j'allais dévorer chacune de mes proies. Une multitude de possibilité s'étalaient devant moi : éviscération, écartèlement, lobotomie... À moins que je ne les dévore vivant, les uns après les autres en écoutant leur cri de douleur et de peur. Mmmh, difficile de faire un choix !
Le groupe que je traquais se déplaçait rapidement, comme si eux-mêmes suivaient quelque chose... Ou quelqu'un !

Le jour commençait à baisser quand enfin l'odeur devins plus forte, plus proche. Je les avais enfin rattrapé. J'allais enfin pouvoir mettre à exécution mes pratiques qui ne se faisaient en aucun cas en société. Je sentais déjà l'odeur métallique du sang coulant le long de ma gorge. Ah, quel délice ! Seulement, quand j'arrivai sur place je ne vis aucune trace d'humain. Il y avait leur odeur, leurs empreintes, mais aucun corps. Était-ce une embuscade ? Sur le sol humide et boueux se dessinait les traces récentes que  les roues des chars laissent derrière eux. Non loin de ses traces se trouvaient quatre mottes de terre fraichement retournée, d'où émanait l'odeur encore très forte de l'homme. Me précipitant vers les petits monticules, j'entrepris de déterrer ce qui se trouvait en dessus, redoutant ma trouvaille. En dégageant la terre je trouvai alors le cadavre d'un être humain mort depuis quelques minutes. J'eus alors envié de hurler, de déchiqueter quelque chose!!! J'arrivais trop tard, quelqu'un venait de mettre à mort ce groupe d'humains sans même le manger. Quel gâchis, mais quel gâchis ! Une bonne viande comme ça, enterrée et donnée aux vers ! Je n'allais pas laisser un tel sacrilège ainsi. Je décrochai la tête du premier cadavre et gobai alors les yeux un peu caoutchouteux mais fort nourrissant. Je m'attaquai ensuite au cerveau, ouvrant le crâne à l'aide d'un couteau spécial. J'avalais le tout dans un bruit disgracieux, m'essuyant la bouche avec la manche de mon vêtement. J'ouvris ensuite la peau douce du ventre du cadavre. Je plongeai alors ma tête entière dans les entrailles de l'humain, dévorant le foie, les intestins et l'estomac encore chauds. Je baignais alors dans une douce euphorie, me délectant des organes internes de cet être délicieux.

J'en étais au deuxième corps quand je sentis quelque chose me fixer. J'étais tellement absorbée par mon repas que je n'avais pas entendu le bruit pourtant pas vraiment discret d'une voiturette. Je me retournai vivement et à quelque mètre de moi, devant l'engin de transport se tenait un homme étrange au regard aiguisé. On pouvait voir que ses deux canines sortaient légèrement de sa bouche, semblables à celles des plus grands prédateurs. Comme moi. À côté de lui, un autre homme qui me semblait moi dangereux mais dont il fallait tout de même se méfier. Que faire . Ils ne dévoilaient pas la moindre hostilité et semblaient même curieux. Je me levais rapidement, tenant fermement le foie du deuxième cadavre. Je fixais à mon tour l'homme étrange aux yeux de sang et doucement je tendis mon bras dans sa direction. Je me doutais que ces deux hommes étaient ceux qui avaient mis à mort mes proies. Peut-être revenaient-ils chercher leur dû ?

-Vous le voulez ? Lui demandais-je en désignant le foie que ma main tenait, Vous venez chercher votre part non ?

“When the Fox hears the Rabbit scream he comes a-runnin', but not to help.” ►  Thomas Harris

Cet homme étrange me fascinait tout simplement. Il était... Comment dire? Ses yeux étaient pareils aux miens, il ne craignait pas la mort et ne semblait en aucun cas dérangé par mes agissements. D'habitude, un humain normal aurait fui sans demander son reste, dégouté par ce spectacle. Cet être humain-là avait accepté mon présent et avait bu le sang que contenait la foi sans hésiter en prenant plaisir à sentir ce liquide rouge couler dans sa gorge . C'était la première fois que je voyais un autre que moi faire cela. Une chose était claire pour moi: cette créature n'était pas un humain, même s'il en avait quelque peu l'odeur. Je savais qu'il s'intéressait à moi, je sentais son regard passer et repasser sur mon visage et mon corps. Mais qu'avait-il voulu dire par "j'ai beaucoup mieux dans mes réserves"? Voulait-il me faire comprendre qu'il possédait des "réserves" d'humains prêt à se faire dévorer? Était-ce une invitation? Cela était bien étrange... Je décidai de rester sur mes gardes sans pour autant me montrer froide. Je voulais savoir ce qu'il insinuait dans ses paroles si mystérieuses.

Que venais-je faire sur ces terres? C'était évident non? Je n'aimais pas que l'on se moque de moi. La raison de ma venue sur ce territoire était la chasse pardi! Je le croyais plus malin que ça, lui qui cherche des réponses. D'ailleurs il avait été très vague à ce sujet, une chose était certaine, il ne voulait pas trop révéler ses ambitions. J'entrepris de décoller les restes d'organes qui tachaient mes vêtements et mon visage. Le sang avait déjà commencé à coaguler et s'incrustait dans les pores de ma peau.

-Je suis venue sur ces terres hostiles comme tu dis car j'avais faim, lui répondis-je tout en continuant ma toilette, et je n'y suis que pour cette seule et unique raison. D'ailleurs, je traquais ces humains depuis un bon moment quand vous avez cru bon de les éliminer... Vous avez de la chance, je ne suis en général pas rancunière mais j'aurai bien voulu les dévorer vivants. Enfin... Tant pis!

C'est vrai quoi, moi qui me faisait une joie d'entendre leur hurlement et leur supplication inutile mais tellement excitante. Une fois à peu près propre, je léchai mes doigts encore souillés par l'hémoglobine puis adressai un sourire plein de dents à l'homme qui me ressemblait. Je me tournai vers l'humain qui l'accompagnait et le fixai avec un regard mauvais. Qui était-ce cet homme? Un futur repas? Non, il semblait n'être prêt à se jeter que moi si j'attaquais. Je ne pus retenir un petit rire amusé. Même s'il était assez costaud je ne pouvais le nier, un simple humain comme lui ne pourrait rien faire face à moi. Surtout qu'il paraissait assez lent et pas très agile. Il n'était pas une menace très importante mais je décidai de le garder à l’œil, on ne sait jamais.

-Dites- moi, dis-je en me ré-intéressant à l'homme étrange, Je crois ne pas savoir votre nom. Bien que je ne sois pas une experte en relation humaine je crois qu'en général quand des gens se rencontrent pour la première fois ils se présentent non?

Il était hors de question que je révèle mon nom en premier. Je voulais savoir le sien d'abord car bien qu'il ne se montra pas agressif, je préférais prendre des précautions. Si les premières années de ma vie que j'ai passées chez les humains m'ont bien appris une chose c'est qu'on n'est jamais trop prudent. Une banale rencontre peut se transformer en piège mortel. Je restais donc sur place, attendant sa réponse qui déciderait de beaucoup de choses. Avais-je trouvé enfin une personne comme moi, vivant de la chair humaine? Si c'était le cas alors cela marquerait la fin de ma solitude, du moins pour un certain temps. Je ne devais pas perdre de vue mes principales ambitions. Jamais. Ça serait une erreur fatale pour moi.

Des spécimens bien plus intéressants disait-il. Comme cela est intriguant et excitant! Je sentais une sorte de force aussi sombre qu'attirante émaner de cet être étrange, comme si je ne pouvais détacher mon regard du sien. Il parlait d'une voix calme mais terriblement inquiétante, juste magnifique. Je pouvais enfin mettre un nom sur cette créature: Seifukusha, le conquérant. Certes ça n'était pas son nom véritable mais ce surnom collait bien au personnage. Il cachait son identité, donc il avait des choses à cacher. Que voulez-vous, on a tous nos petits secrets... Moi je ne voyais aucun intérêt à dissimuler mon prénom derrière un surnom. Les noms n'ont pas d'importance car je resterais celle que je suis même si je change de nom. Moi qui ai vécu dans la Racine pendant de nombreuses années, moi qui n'avais pas de nom j'ai pu très bien vivre sans. En connaissant le nom d'une personne, je ne peux rien faire. En revanche en connaissant son odeur et son physique, je peux facilement la retrouver et la tuer. J'attendais un petit moment avant de lui répondre d'un ton platonique:


-Je me nomme Tengu, très cher amateur de sang. Je vais être très franche avec vous: je hais les humains, je ne les apprécie que dans mon estomac. Mais vous, vous êtes différent et je n'ai pas l'impression que vous soyez de nature humaine, pas comme votre... Bouseux. A ces mots je fixais l'homme musculeux qui l'accompagnait. Je serais curieuse de savoir de quel endroit vous venez. D'un village ninja? D'une simple ville. Ou êtes-vous simplement un mercenaire parcourant les différents pays pour effectuer vos missions privées?


J'optais pour la dernière proposition. Il n'avait l'air d'être rattaché à aucun village, il ne possédait ni bandeau, ni aucun signe distinctif de clan. S'il était un nukenin comme moi, alors je me devais d'être encore plus prudente. Je ne savais pas de quoi ce Seifukusha était capable; il semblait riche puisqu'il se déplace dans une voiturette. Je ne pensais pas avoir à me battre avec lui à en juger par le commencement de notre discussion mais sait-on jamais. Je regardais en l'air pour regarder le ciel. Le soleil avait à présent complètement disparu derrière l'horizon, laissant place à une lune argentée et parfaitement ronde. Sa lumière était plus forte que les autres soirs comme si elle éclairait notre rencontre. Je fermai les yeux pendant quelques instants, profitant de la fraicheur de la nuit. L'odeur humide de la forêt se mélangeait à celle des corps sans vie qui étaient presque encore frais. Tout en gardant la tête dirigeait vers l'astre nocturne, je fis d'une voix calme, juste assez forte pour que l'homme aux yeux couleur sang m'entende.

-Il y a maintenant plusieurs années que j'ai quitté le village caché des feuilles. Je vivais avec des humains, loin de mes semblables. Et voilà qu'un soir, je trouve une créature qui me ressemble. Enfin... Je croyais être la seule dans mon cas, le seul « monstre » comme on nous appelle.


Je pris une grande inspiration et baissai ma tête pour à nouveau planter mon regard dans celui de Seifukusha, puis commença à approcher, tout en faisant attention à l'humain. Qui était réellement cet être qui me ressemblait tellement ? Pour le savoir il allait falloir gagné sa confiance, l'observé plus en détail. Mais avant tout, il fallait que je sache une chose essentielle.

-Puis-je connaître votre goût ? N'ayez crainte, en aucun cas je ne voudrais vous faire de mal. Je mordis  alors ma main dans le bute de faire couler un peu de sang. Tenez, goûtez, cher ami, fis-je en lui adressant un sourire qui fendit mon visage, dévoilant toutes mes dents.

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Il avait donc de l’estime pour cet être humain. Étrange, je n'aurai pas pensée que Seifukusha soit comme cela. Ce n'étais qu'un humain, alors pourquoi en avait-il besoin, pourquoi le défendait-il. Finalement il était assez différent de moi, en tout cas sur ce point. Jamais je n'ai demandé d'aide à un simple humain. Me servir d'eux, faire des échanges puis les manger, c'était le seul contact que j'acceptais d'avoir avec eux. Et je ne faisais aucune différence entre hommes, femmes ou enfants. Tous sont des être répugnant. Alors pourquoi celui-là serai différent au point que le conquérant l'apprécie? Cela resterai un mystère pour moi que peut-être un jour je réussirais à démystifier dans mon esprit. Après tout, j'avais encore du temps.

Alors comme ça mon sang était délicieux? Il est vrai que jamais je ne m'étais mutilée moi même dans le but de connaitre mon propre goût. Il m'avait léché la main tout en gardant l'élégance et la prestance dont il savait si bien user. Je notai qu'il me proposa que cette ne soit pas la dernière et que nous pourrions éventuellement nous revoir. Pourquoi donc? Mais en même temps pourquoi pas. Pour l'instant il restait un parfait inconnu à mes yeux. Je ne savais pas son âge, son nom véritable ni même ses fameuses ambitions. Tout ce que je connaissais de lui était qu'il travaillait pour son propre compte et qu'il se nourrissait également d'être humain. Il allait falloir que j'en sache plus a son sujet pour que je daigne lui accorder une seconde rencontre. Mais chaque chose à la foi, il était  grand temps de savoir quel était le goût de ce cher amateur de sang. Il enleva tranquillement son gant blanc qui laissa apparaitre une main toute aussi pâle et lisse. Rien que le fait de la voir me donnai des frissons, comme si je pouvais déjà voir le sang qui coulait dans ses veines. Ses dents extrêmement pointus s'enfoncèrent sans la moindre difficulté faisant alors couler quelques goutes de sang pourpres. Je pris alors délicatement le poignet de ma nouvelle connaissance et inclinai légèrement la tête afin que ma bouche puisse atteindre son index. Je commençai a suçoter son doigt quand d'un coup ce fut le choc. Ce goût.... Incroyable. Jamais je n'aurais cru pouvoir un jour goûter une chose aussi délicieuse. Son sang était âcre sans trop l'être, délicat sans aller dans le trop doux, comme si sang reflétait sa personnalité.

Par un réflexe malheureux, ma mâchoire commença à se refermer sur la main de Seifukusha. Mon instinct cannibale reprenait le dessus et par la même occasion les marques qui annonçaient ma transformation se répandirent sur mon corps. Je me reculai d'un coup, ne voulant pas blesser cet être si particulier. Je sentais un désagréable bourdonnement résonner dans ma tête. Je me mis à baver et à transpirer fortement, respirant avec difficulté. Je pris mon crâne dans mes mains, me frappant avec rage. Je devais à tout prix garder le contrôle! Pourquoi cela devait arriver maintenant, en présence de cette personne. Si jamais je le tuais dans ma démence, jamais je ne pourrais faire plus ample connaissance avec lui. Après quelques secondes de combat contre moi même, je réussis à peut près à revenir dans mon état normal, encore tremblante et suante. Je fixai le sol, tentant de reprendre mon souffle et essuyant la salive autour de ma bouche.

-Si un jour ce que vous venez de voir se reproduit en votre présence, fis-je dans un souffle, Alors fuyez loin si vous tenez à la vie. Je suis.... Je suis vraiment désolé que vous ayez dû assister à cela. Gomennasai.

Je me relevai avec difficulté. Qu'allait-il penser après cela? Allait-il être comme tout les autres? Allait-il me fuir, me traitant de monstre, d'erreur de la nature? Ou allait-il tenté de me tuer purement et simplement? Son choix serai décisif pour notre éventuelle nouvelle rencontre. Parfois, il m'arrive de penser que j'aimerais être comme tout le monde. Avoir une famille, des amis, un clan. Ne plus être seule. Ne plus subir le regard des autres sur ma nature. Moi qui ai fuit mon village et tué de multiples shinobis, avais-je seulement le droit de vivre? Non! Comment pouvais-je penser cela? Ce sont les humains qui n'ont pas leur place dans ce monde! Je ne suis pas une des leur, il est donc normal que je ne vive pas avec eux, c'est dans l'ordre des choses. Ce ne sont que du gibier, rien de plus. Je n'avais pas le droit d'en douter. Je ne suis pas un monstre, je suis Tengu. Et un jour je réussirais à débarrasser le monde de cette espèce ignoble qu'est l'être humain. Et cela allait être fort plaisant!

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C'était la première fois. La première personne qui n'avait pas eu un seul mouvement de recul en voyant ma monstrueuse transformation... Et la première fois qu'on me rassurait à ce propos. Depuis mes plus lointains souvenirs, mon pouvoir héréditaire avait toujours été vu soit comme une véritable abomination, soit comme une arme destructrice à utiliser. En tout cas, à cause de ses transformations, on me craignait, on parlait dans mon dos et on racontait les plus horribles histoires. Mais là, c'était tout le contraire. Cet homme qui me paraissait si familier venait de me dire que je n'avais pas à m'excuser pour ce qui s'tait passé. C'était tellement inhabituel que pendant un instant je crût qu'il se moquait de moi. Sa voix ne comportait pourtant aucune trace de raillerie. Je relevai alors doucement la tête vers celui qui m'acceptait telle que j'étais. Son regard n'était pas empli de haine, ni de peur. Seifukusha... Un être d'exception. Un être que jamais je n'avais osé imaginer rencontrer un jour. Une question frappa directement l'esprit lorsqu'il reprit la parole après un moment de silence total. Qu'avait-il pu voir de "bien pire"? Dans quelles affaires obscures trempait-il exactement? Il me cacha bien des choses étranges. Pourtant cette révélation ne me fit en aucun point peur. Cela me donnait juste envie de me rapprocher de lui, d'apprendre à le connaitre, lui et son univers si ténébreux. Devais-je lui dire pour les marques? Pouvais-je seulement lui faire confiance? Si son intention était de me tuer il l'aurait déjà fait, je pouvais donc écarter cette possibilité. Il disait pouvoir m'aider. Qu'il est drôle... M'aider en quoi? Je n'avais besoin de personne. Je suis toujours seule et j'aime la solitude. J'avais du en tout cas m'en convaincre pour pouvoir survivre dans ce monde hostile.

-Très bien, lui répondis-je, Je veux bien vous en dire plus. Mais j'aimerais que cela reste un secret entre nous car il m'est très difficile de... De repenser à tout cela. Votre humain peut rester là si vous le souhaitez, je vous fait confiance pour qu'il tienne ça langue.

Je me raclais la gorge. Par où commencer? Comment lui expliquer? Replonger dans mes souvenirs allait être une véritable épreuve pour moi. Certains d'entre eux étaient si terribles que je m'étais efforcé de les oublier et de les remplacer par d'autres moi violents. En tentant de séparer le vrai du faux et de me débarrasser des détails inutiles je commençai à tripoter mon épaule à jamais marqué par une brûlure de guerre. Je pris une profonde inspiration pour me donner un peu de courage.

- Comme tu le sais déjà, je suis originaire de Konoha, dis-je d'un ton froid en repensant à mon ancien village, mais ma mère venait... D'un autre endroit. Elle faisait partie d'un clan un peu spécial, ne dépendant d'aucun village ninja. Je pense d'ailleurs que personne n'aurait voulu d'eux. Tu as pu le voir tout à l'heure, le pouvoir héréditaire de ce clan est terrifiant. C'est de ma génitrice que je tiens ce pouvoir. Malheureusement, j'ai dû apprendre à le gérer sans son aide, car elle est morte avant que mon attribut ne se révèle. Les transformations ont lieu quand je suis soumise à des émotions fortes: colère, euphorie, peur intense. Je n'arrive pas toujours à les contrôler. Vous me dites d'être fière d'être unique, mais vous ne pouvez imaginer ce que cet attribut héréditaire m'a fait subir. À cause de lui, j'ai vécu une enfance misérable... Personne ne devra avoir à vivre ça!

J'avais prononcé ces dernières paroles avec agressivité et désespoir. Je m'étais laissé emporter par ma hargne et j'avais du mal à garder mon calme. Je me faisais littéralement attaquer par souvenirs que je pensais avoir bannis de ma mémoire. Je me revoyais dans la Racine, me faisait traité comme un objet, je revoyais mon géniteur... Je secouai fortement la tête pour me débarrasser de toutes ces visions horrifiques.

-De là où je viens, les gens comme moi sont exclus de la société. Pour le village caché des feuilles l'enfant que j'étais ne valait guère mieux qu'une malédiction. Mais lieu de mettre fin à mes jours, on a préféré me garder en vie pour que je puisse devenir une arme de destruction massive. Je... Je ne sais plus où j'en suis. Je voudrais tellement retrouver mon clan et vivre avec lui.

Mon cœur se serra si fort que je dus arrêter de parler. Je m'étais juré de ne jamais être faible, de toujours me battre. Celle qui s'exprimait en ce moment n'était pas la Tengu que j'étais à présent, mais l'enfant brisé qui réclamai la vengeance et qui cherchai l’affection qu'il n'avait jamais pu recevoir. Il fallait que je me reprenne, je ne pouvais avoir le luxe de m’apitoyer sur mon sort. Je devais aller de l'avant. Se réfugier dans le passé ne m'aiderait pas. Aujourd'hui je suis Tengu et non plus un jouet pour les hommes.

“When the Fox hears the Rabbit scream he comes a-runnin', but not to help.” ► Thomas Harris