Ce qui était certain, c'est que mon interlocuteur avait bel et bien vécu lui aussi les pires atrocités. J'étais bien consciente de n'être pas la seule, mais comment espérer un jour rencontrer une telle personne? Ce qui m'avait en premier frappé chez lui, c'était son charisme, son attitude, son odeur. Il avait accepté de boire du sang humain, puis même après avoir vu ma terrible transformation, il 'avait pas pris peur. Au contraire, il m'avait rassuré et avait presque admiré mon pouvoir héréditaire. Pourquoi faisait-il cela? Pourquoi perdait-il du temps à me parler? Et moi alors, pourquoi lui disais-je tout cela à lui, un parfait inconnu? Ca n'était pas la confiance, je n'en avais en aucun être vivant. J'étais face à une émotion inconnue, impossible à décrypter. Cet être inhumain semblant lire en moi comme dans un livre ouvert. Il me comprenait bien, il connaissait la véritable souffrance, même si je doute que la sienne était semblable à la mienne. Mais en fin de compte, quelle importance. Après quelques instants de silences, Seifukusha reprit la parole de son ton si particulier. Je remarquai quand dans sa phrase il marqua une séparation entre lui et les humains. Alors lui non plus ne se considérait pas comme faisant parti de leur espèce. Ou alors était-ce pour se rapprocher de moi? Ca y est, le doute revenait à la chasse. C'était plus fort que moi, je ne pouvais m'empêcher de voir le mal partout. Après tout, c'était comme ça qu'on m'avait éduquer. Ne jamais faire confiance, ne jamais croire. Ne jamais rien ressentir envers son prochain. J'avais encore du mal à me décrocher de ses règles qui avaient fait mon univers pendant un bon nombre d'année de mon existence. Non, la personne qui se tenait devant moi n'était pas humaine. Il n'avait d'humain que l'apparence, tout comme moi. Deux monstres enfermé dans une faible enveloppe charnelle.

J'entraperçue un sourire discret son visage blanc comme du marbre. Il n'était donc aussi dépourvu de sentiment qu'il voulait le faire croire. Cela ne dura qu'une fraction de seconde avant qu'il reprit un air sérieux digne des plus grands hommes d'affaires. Je m'attendais donc à ce qu'il me demande une chose importante ou une requête. Evidemment, comment avais-je pu être aussi idiote. Ce qui n'avait pas était terrifié par mon pouvoir m'avait convoité comme un simple objet de destruction. Il allait donc tenter de m'utiliser pour ces intérêts personnels. Déjà je pouvais imaginer les idées perverses de cet autre monstre. Un sentiment de déception intense pris possession de moi, et lentement la Tengu sauvage qui sommeillé en moi remontait. Elle avait eu raison au final, comme toujours. J'avais été bête, comme toujours. J'allais la laissé prendre le contrôle lorsque Seifukusha ajouta une dernière phrase. Des mots qui se suivaient dans un ordre incohérent. Jamais on ne m'avait dit cela à moi. Il voulait m'aider! M'aider à me contrôler, à retrouver mes semblables! Pouvais-je y croire? En avais-je seulement le droit? Mais pourquoi voudrait-il faire une chose pareil; cela ne lui rendrait aucun bénéfice. Ou alors il allait me faire signer un accord et ça, j'en avais déjà un avec un étrange marchand... Je le fixai alors de mes yeux de prédateurs.

-Et pourquoi le ferai tu? Pourquoi ne pas simplement fuir et te mettre à l'abri de moi? Je suis trop dangereuse pour vivre avec qui que ce soit. Tu pourrai essayer de m'aider, mais y parviendrais-tu? Je... Je suis heureuse que nos chemins se soient croisé, mais je serai peiné de t'ôter la vie.

J'avais parler avec plus d'agressivité que je ne l'avais voulu. J'étais à présent sur la défensive. Il cachait forcément quelque chose. Dans ce monde on avait rien sans donner en retour un service. Pourtant je n'avais pas envie de me dire que c'était la première et la dernière fois que je voyais cet autre monstre. Je voulais rester en contact avec lui. Une sensation étrange apparu en moi. Cela partait de l'estomac et irradiait tout le reste de mon corps. Je me sentais bien, apaisée.  Et peu à peu, le doute s'évapora.

-Je... Je ne sais pas si c'est une bonne idée, repris-je alors d'une voix plus douce, Mais sache que cela me réchauffe le coeur de savoir que tu veuilles bien m'accorder du temps. Je crois bien qu'à part ma mère, tu es le seul. Depuis toutes ces années... Alors pourquoi pas.


Vraiment. Nan mais vraiment. Que suis-je entrain de faire? Il faut que j'arrête de montrer mes émotions comme ça! Je suis forte, je n'en ai pas besoin. Haaaa... voila l'autre Tengu qui reprend le dessus. Je ne dois pas la lasser faire.... C'est bon, elle est partie!

“When the Fox hears the Rabbit scream he comes a-runnin', but not to help.” ►  Thomas Harris

Ses paroles étaient sincères. Rien ne pouvait me le certifier, mais je le sentais. J'avais décidé d'écouter un peu plus mes sentiments et impressions, et ceux-ci me disaient qu'aucun danger ou entourloupe ne se dissimulaient derrière ces belles paroles. J'attrapai le morceau de papier où était inscrite une adresse de la ville de Tanzaku. Décidément... Cette ville est au centre de bien des affaires. C'était dans ce même bourg que j'avais la connaissance au hasard d'une rue d'un dénommé Kurote. Lui aussi avait quelque chose de spécial... Une chose étrange que je ne pourrais décrire. Notre relation était purement professionnel et je n'aimais pas vraiment son attitude, comme s'il cachait toujours une information.  Enfin, moi non plus je n'étais pas très ouverte avec lui il faut dire et c'est surement mieux comme ça. Tandis qu'avec cet "homme" ... J'avais senti une résonance entre nous avant même de lui parler, bien que je m'étais niée à moi-même la ressentir.

Je rangeais rapidement l'adresse dans une des poches fermée de mon pantalon. Il ne fallait en aucun cas la perdre. Dès que je serai de retour au camps, je la mémoriserai puis brulerai le bout de papier, au cas où... De veilles habitudes qui me restais de la Racine. En regardant le visage de ce Seifukusha, je ressentis de la tristesse. La tristesse de devoir le quitter. Je tressailli, ne sachant pas quoi penser de ce sentiment étranger. Encore une fois il me ramenait à de douloureux souvenirs remontant des abysses de mon esprit. J'étais pathétique... Non pire! Humaine. Je n'étais pas comme eux, je voulais m'en convaincre, mais à présent quelles preuves j'avais? Ils sont notre nourriture, ils sont faibles, souffla la voix de l'autre Tengu. Ces deux arguments m'apaisèrent un peu.

-Merci... Merci pour tout. J'attendrai avec impatience notre nouvelle rencontre. D'ici là je tacherais de rester en vie et j'espère que tu en fera de même. Que l'Esprit t'accompagne.


Un petit vent me caressa les cheveux tandis que la voiturette s'éloignait de plus en plus jusqu'à s'effacer complétement entre la végétation dense de la forêt. Je me retournai rapidement et sentis l'odeur alléchante de viande encore assez fraiche. Il est vrai qu'on m'avait coupé dans mon copieux repas. Je n'en avais pas fini avec ces corps. Je m'approchai d'eux doucement, contemplant leur visage sans expression. Je posai ma main sur un bras qui avait perdu son corps. Il était déjà froid, flasque et si je ne faisais pas vite ça serai aux mouches de finir le travail. Je croquais sans conviction dedans, mais finalement la chair était assez savoureuse. Je ne devais rien laisser de ces cadavres, sinon ça serai gâcher toute cette viande, n'est-ce pas?

“When the Fox hears the Rabbit scream he comes a-runnin', but not to help.” ►  Thomas Harris