« Himuro-san, Himuro-san ! » hurlait la jeune femme. Le regard vide, un filet de salive au coin de la bouche, le garçon était totalement inapte à expliquer ce qui venait de se produire. La foule s'était agglutinée autour de son corps inanimé, les badauds chuchotaient quelques commentaires au sujet d'une harpie aux cheveux roses. Quoiqu'abattu par la triste tournure de notre battue, je me fis rapidement une raison et poursuivis l'investigation auprès de la jeune femme éplorée qui secouait son compagnon inerte. Sa tête ballottait dangereusement sur ses épaules et sa nuque promettait de se briser bientôt. D'une main ferme mais sans brutalité, je saisis le poignet délicat de la femme agitée.
« Savez-vous ce qu'il s'est passé ? demandai-je calmement.
− Cette folle furieuse lui a donné un coup de poing ! gémit-elle d'une voix brisée. Il a fait un vol plané à cinq mètres et s'est écrasé là. Elle s'est enfuie sans un regard pour lui, cette grosse truie monstrueuse ! »
Je m'accroupis pour observer l'état de la victime de la fleur de cerisier. Une vilaine bosse bleuâtre de la forme d'une grosse pomme de terre sortait de son vertex et sa dentition ressemblait au clavier d'un piano d'antique facture. La jeune femme se remit à le secouer de plus belle. Konoha était dans de beaux draps si nous ne réparions pas rapidement cette malencontreuse erreur.
« Cette fille est médecin, elle vous le guérira, promis-je d'un ton qui se voulait rassurant.
− Vous êtes avec elle ? » grogna-t-elle dans un changement brutal de personnalité en lâchant brusquement son amant. Sa voix était soudain grave et rauque et ses yeux brillaient pernicieusement derrière le rideau de ses cheveux rabattus sur son visage.
« Elle est un peu excédée, je lui ferai la leçon », argumentai-je pour tenter de réduire l'aura meurtrière de la jeune fille. Cependant, il fallut deux hommes de forte constitution pour la retenir de m'arracher les yeux et, même après qu'ils l'eurent neutralisée, elle continua de vomir des insultes et proférer des menaces à l'encontre d'à peu près tout ce qui existait sur la planète et au-delà. Quelle est la folle furieuse maintenant ? pensai-je. J'étais bien embarrassé que mon équipe ait semé la pagaille dans ce petit port de l'Eau. L'Ombre allait certainement attendre mes explications et je n'étais pas pressé de les lui donner. Pauvre de moi. Dans pareille situation, je dois reconnaître qu'il m'arrivait de ressentir quelque nostalgie à l'égard de mes jours au sein de l'ANBU.
« Briseuse de ménage ! Je vais l'étriper ! vociférait-elle. Assassins ! Assassins ! Je vais vous ouvrir comme des huîtres ! Vous bouillir comme des homards, bande de merdeux de Konoha ! Et le type aux cheveux noirs avec !
− Quel type aux cheveux noirs ? demandai-je, intrigué.
− Celui qu'elle est partie chercher ! hurla-t-elle. C'est lui qui a payé Himuro pour sortir et rester planté là, dieu seul sait pourquoi ! Et ce crétin a accepté, je vais le tuer ! Tu m'entends Himuro ? À ton réveil, je te tue ! »
Tout ceci devenait ridicule, il était temps que je rejoigne mes jeunes et virulents compagnons. La passion qui est le propre des gens de cet âge était aussi bien un danger pour eux-mêmes que pour les autres. Sakura avait déjà frappé aveuglément un homme coupable d'avoir été stupide et vénal ; la force de ses coups pouvait aisément ôter la vie d'un homme et l'actuelle Sakura ne se pardonnerait jamais de tuer par erreur ; par ailleurs, si jamais les ombres du passé commençaient à corrompre son âme, le pouvoir du Godaime qu'elle avait entre ses mains deviendrait un catalyseur de ce tenace poison qu'est la haine. Naruto, quant à lui, avait en plus d'un tempérament bien plus impulsif que celui de Sakura l'inconvénient de renfermer un pouvoir qu'il ne comprenait pas et ne maîtrisait pas. Je ne pouvais laisser aucun d'eux recourir à ces capacités qui leur avaient été transmises pour endiguer les maux de ce monde et non leur propre douleur.
Tandis que j'allais sur les toits, toutefois, je songeais que le vilain que nous pourchassions avait fait preuve de bien plus d'imprudence qu'il ne l'avait sans doute cru. De toutes les personnes dont il aurait pu usurper l'identité, il avait choisi l'un des deux derniers descendants du clan le plus tristement célèbre du monde. Sasuke était recherché par absolument toutes les nations en tant que Nukenin de rang A. De plus, Akatsuki surveillait sans doute ses allées et venues puisque son frère en était membre. Pour finir, Sasuke lui-même apprécierait sans doute peu que l'on se moque de lui s'il entendait parler de son existence et, tel que je le connaissais, serait devenu fou de rage qu'un hurluberlu endosse le nom de son clan et le salisse en volant et semant la pagaille du côté de la Brume. Quel étrange choix — ne trouvez-vous pas ? — que celui d'Uchiha Sasuke pour couvrir son identité. Il y avait plus en cela qu'un simple garnement désireux de'exécuter ses forfaits anonymement. Qu'avait-il à gagner à se faire passer pour lui ? La question était peut-être même de savoir qui gagnait à faire accuser Sasuke de tels méfaits. Autrement dit, à qui profite le crime ?
J'arrivai à l'emplacement du combat final à temps pour voir Sakura foncer droit vers l'usurpateur, poing en joue. Je ne devais pas la laisser faire mais je n'avais pas mille façons de l'en empêcher. À une vitesse aberrante pour des yeux ordinaires, je créai un clone d'ombre qui accourut vers Sakura et, en la saisissant par un bras, la fit changer de direction et foncer droit vers les clones de Naruto — toute autre direction eût causé des dégâts supplémentaires dont nous pouvions bien nous passer, je pense. Bien entendu, la grossière et trapue imitation du quatrième membre de la team sept en profita pour s'enfuir, se retrouva bientôt nez à nez avec moi et se figea. Je ne fis pas un geste pour le capturer, je tenais à ce qu'ils s'en chargent eux-mêmes. Je me contentai de leur donner un conseil :
« Ne vous laissez pas emporter par vos émotions ! Vous êtes ici pour appréhender un voleur, pas pour vous défouler sur un type qui ne sait même pas qui vous êtes ! »

Alors que le garçon s'enfuyait, je gardai les yeux sur mes jeunes élèves. Je ne comptais pas l'arrêter moi-même, j'avais pris la décision de le leur laisser — jusqu'à temps qu'ils ne se montrent pas suffisamment circonspects pour prendre en charge la chasse. Je le laissai donc prendre une longueur d'avance dans l'espoir que le temps de le rattraper calme leurs dangereuses ardeurs. Toute ma vie je m'étais efforcé de garder la tête froide en toute situation. Céder à la colère était la plus tentante et la plus pernicieuse des réactions que le shinobi pouvait avoir en une situation où ses émotions ressurgissaient. Il est bien connu que l'une des règles de conduite majeures du ninja était de taire ses émotions. C'était une loi ancestrale dont nous n'étions pas certains des origines, qu'elle fût instaurée par les dirigeants des clans shinobis avant même la fondation des villages ou par les premiers kages. Quoiqu'il en soit, j'avais pour ma part déduit de mes nombreuses mésaventures qu'il était impossible de taire toute émotion pour la simple raison que le destin trouve toujours le moyen d'en déclencher de plus fortes pour libérer les autres, celles que nous avons trop longtemps enfermées à l'ombre de notre cœur, que nous croyions disparues alors que nous nous étions convaincus de leur absence pour mieux convaincre les autres. J'avais appris à mes dépens qu'appliquer cette vieille règle coûtait aussi cher que de laisser les émotions nous guider et, en conclusion, j'avais découvert qu'il ne fallait pas plus ignorer ces dernières que les écouter ; il fallait les affronter, les intégrer à son plan en toutes circonstances. Elles étaient des armes et, au même titre qu'un kunai ou une bombe fumigène, pouvaient aussi bien blesser ou aveugler l'adversaire que nous-mêmes. Tout était question d'analyse de façon à les transformer en énergie. Cette leçon était sans doute la plus difficile à recevoir et plus encore à transmettre, mais j'étais l'enseignant de ces deux jeunes génies et la puissance grandissante de chacun d'eux m'intimait de faire vite.
« Ne vous agitez pas, nous allons le retrouver facilement. »
Je me mordis le pouce, effectuai quelques sceaux et frappai le sol du plat de la main. Un nuage de fumée envahit l'espace puis laissa apparaître deux de mes fidèles compagnons.
« Yo ! Kakashi-sempai, lança Shiba.
− Qu'est-ce qu'il t'arrive cette fois ? demanda Bisuke.
− J'ai besoin de votre aide pour suivre la piste d'un garçon qui a usurpé l'identité de Sasuke.
− Ouh j'en connais qui ne seraient pas contents. »
Je lançai un regard abattu à Shiba qui se retourna et remarqua la présence de Naruto et Sakura.
« Yo ! fit-il à nouveau au comble de mon désappointement. Désolé, je vous avais pas vus les enfants.
− Si tu nous as demandés, reprit Bisuke, c'est qu'il ne doit pas être facile à trouver. A-t-il utilisé un déplacement instantané, est-ce qu'il s'est envolé sur le dos d'un oiseau géant... ?
− À vrai dire, expliquai-je, il s'est enfui en courant. Ce n'est pas un shinobi. »
Il me regarda avec dureté.
« C'est une insulte à notre talent de nous avoir invoqués pour ça.
− J'ai besoin que cette affaire se règle très rapidement. À vous deux, je suppose que ça ne devrait pas prendre longtemps. Les conséquences diplomatiques de notre mission pourraient être graves si elle échoue. »
Il se mit à réfléchir, visiblement indécis quant à décider si j'étais digne d'obtenir son concours ou non dans cette opération. Cependant, Shiba n'avait pas chômé et s'exclama :
« J'ai une piste ! »
Il partit au pas de course et Bisuke, quoique exaspéré, le suivit. Mes compagnons canins pouvaient analyser une multiplicité d'indices au contact d'une odeur humaine : le sexe de la personne, la direction qu'elle avait prise bien entendu, la vitesse à laquelle elle se déplaçait... Shiba avait immédiatement su quelle odeur il devait suivre car il avait ressenti qu'elle s'était répandue à grande vitesse. Une fois dans la grand-rue où la foule annonçait des complications, ils ne coururent pas longtemps. Nous arrivâmes bientôt à un carrefour.
« Sa trace se sépare en deux ici, expliqua Bisuke. Une à droite, l'autre en face. Il faut qu'on fasse deux groupes.
− Bien. Naruto, tu iras avec Shiba ; Sakura, avec Bisuke. »
Je produisis un nouveau clone d'ombre afin d'accompagner chacun des groupes. Heureusement qu'aucun adversaire dangereux ne nous attendait, il me coûtait de diviser ma réserve de chakra. Nous nous séparâmes. Aux côtés de Sakura, je profitai d'être seul avec elle pour l'aider à canaliser les sentiments soulevés depuis la dernière heure.
« Je sais que ce que fait cet imposteur vous blesse Naruto et toi, dis-je, et je comprends que tu veuilles lui faire mordre la poussière mais il ne faut pas que tu perdes de vue notre objectif. En le capturant vif, nous obtiendrons de Mizukage-sama des informations qui nous rapprocheront peut-être de Sasuke. Tu te rends bien compte que garder son calme est plus que jamais essentiel, n'est-ce pas ? »
Auprès de Naruto, je tins un langage semblable, tout en ajoutant :
« Je ne doute pas de tes capacités, Naruto, mais si tu perds ton sang-froid, je serai obligé de te barrer la route. Tu comprends ? »
Avec le recul, je me rends compte de l'importance que je donnai à cette opération ; cette première mission que nous accomplissions ensemble depuis de longues années remettait sur la table une équation d'une complexité harassante dont la résolution, aujourd'hui atteinte après moult difficultés, était aussi nécessaire que filandreuse. Bientôt, l'un des deux groupes se retrouva face aux accessoires abandonnés de notre cible, l'autre rejoignit son réel emplacement ; la mission approchait de sa conclusion et, pourtant, absolument aucun de nos ennuis ne promettait de se régler.