Je n’avais pas attendu sa réponse, de toute façon, qu’aurais-je bien pu faire. Demi-tour pour rentrer chez moi et me morfondre ? Il ne fallait pas compter là-dessus, il était hors de question que je reste enfermée entre quatre murs à ruminer mes mauvaises pensées. Sortant de mes rêveries, je reportais toute mon attention sur le jeune homme perché sur le torii. Je réprimais un petit rire lorsque je remarquais sa cigarette tomber de ses lèvres entrouvertes mais me repris bien vite. Je ne voulais qu’il s’imagine que je me moquais de lui. Je le quittais du regard quelques secondes, le temps de commencer mon ascension avant de relever la tête et de le voir tendre la main vers moi, me proposant son aide. Apparemment, il n’en revenait pas de me trouver ici et me le fit savoir de manière assez cocasse. J’attrapais sa main avec plaisir, effleurant sa peau que je sentais rugueuse et la serrais pour m’agripper et me hisser sur le portail rouge. La sensation de sa main dans la mienne me fit frissonner, les siennes grandes et viriles comparées aux miennes, fines et douce. Remerciant la lune de son absence en cette nuit, cela me permit de masquer mes joues rougies de gêne. Son large sourire redoubla ma gêne mais je n’en laissais rien paraitre, lui souriant en retour. Je m’installais plus confortablement sur notre siège de fortune avant qu’il ne me demande si je venais souvent au temple. Il avait l’air mal à l’aise, peut-être le gênais-je à mon tour ? Je pris un ton doux et lui répondis.
Je regardais le ciel, les étoiles scintillaient de milles feux. Elles auraient largement pu éclipser la lune tant leurs lumières brillaient. Je ne détournais pas les yeux du spectacle nocturne car je sentais sur moi son regard. Étais-je laide ? Avais-je un bouton ou quelque chose sur la joue ? Je l’ignorais mais je ne voulais esquisser le moindre mouvement, ne désirant pas le mettre dans l’embarras. Il me parlait de tout et de rien, ne stoppant sa course aux mots que pour prendre une courte inspiration avant de repartir dans une tirade. J'aimais sa voix, douce et suave à la fois. Je me laissais porter par ses histoires et ce son si agréable à l'oreille avant qu'un coup de vent ne fasse s’envoler mes cheveux qui flottèrent dans la brise comme les vagues ondulaient la mer. Je les emprisonnais dans ma main et les repoussais sur mon épaule avant qu’il ne prononce quelques mots qui me laissèrent coite. Une coupelle de fruit ? J’allais lui demander si c’était ce qu’il voulait manger avant qu’il ne m’interrompe et bégaye, rougissant, en me tendant sa gourde à saké. Je ris en lui lançant un regard charmeur.
Je lui pris la gourde des mains avant de la porter à mes lèvres et de siroter ce que je pensais être du saké. Plissant les yeux dans l’attente de recevoir l’alcool en bouche, je fus surprise lorsque la lampée que j’avalais ne me brûla pas la gorge. C’était du thé vert. Je lui rendis sa gourde en murmurant.
Le silence repris place entre nous. Loin d’être désagréable, je trouvais cela apaisant et me sentais bien à ses côtés. Je le sentais bouger, adaptant sa position pour la rendre plus confortable et appuya sa tête sur son genou, tournant son visage dans ma direction. Avec un regard qui me fit fondre comme neige au soleil, il me demandait si le sommeil me boudait ces temps-ci. Je plongeais mes yeux rubis dans les siens que je savais noisettes mais paraissaient d’un noir de jais dans l’obscurité et souris discrètement.
Je dardais sur lui, un regard intéressé. Il m’intriguait, je voulais en savoir plus sur lui. La gêne que j’éprouvais auparavant n’était plus, je me sentais à l’aise près de lui, comme si nous avions franchi une étape dans notre relation. De « simple coéquipier » nous étions arrivés au stade d’ami. Mais je ne voulais pas m’arrêter là. Comme si je fouillais au plus profond de son âme, je souhaitais le voir tel qu’il était et non tel qu’il voulait bien le montrer. Un clown ne montrait toujours que sa face joyeuse mais lui aussi, pouvait pleurer.
J’avais dit ça d’une traite, et lorsque je me rendis compte de mes paroles, je sentis la gêne m’envahir.
Persuadée d’être rouge comme une pivoine, je plongeais mon visage dans mes mains en espérant qu’il ne prenne pas peur et ne s’éloigne de moi. Mon cœur martelait dans ma poitrine et j’aurais juré que le jeune homme pouvait l’entendre. J’avais l’impression que les étoiles au dessus de nous nous épiaient et avaient décidée que nous serions le centre d’intérêt de cette nuit. Elles devaient bien rire de moi. Pitié, si les kamis pouvaient m’aider, envoyez-moi un signe.